Le repas

Vue de l’exposition Family Matters, Villa Empain – Fondation Boghossian, Bruxelles (Belgique) – 2019

Le repas de famille est un acte de rassemblement invitant autour de la table des individus très différents. Ici, les convives déjeunent en silence. L’attention est alors portée sur le partage de la nourriture, sur l’acte de manger et les différents rites qu’engendrent ces situations.

Vidéo – 38 min – Boucle – 2018

HD – 16/9 – Stéréo

 
Dans ma famille, le repas est d’abord un acte de démonstration de celui qui parlera le plus fort. Les verres qui ne désemplissent pas, les plats qui passent de mains en mains, les repas durent des heures et parfois même toute la journée, ce qui nous pousse à remettre le couvert le soir. Tout est profusion : l’important n’est pas de compter les calories, mais de profiter les uns des autres. Et là où la communication est d’ordinaire difficile, la nourriture sert de liant. Elle devient prétexte à partager et excuse pour communiquer. Elle contribue à nourrir aussi bien les estomacs creux que les liens familiaux.

Alors qu’elle passe souvent au second plan, la nourriture est bel et bien l’essence de ce type de rassemblement. L’homme dresse la table, cultive l’aliment et le sublime. Le repas révèle alors comment, autour de l’aliment, la culture reprend l’initiative d’une inventivité culinaire, là où la nature imposait une nécessité. L’alimentation est culturelle, linguistique, historique et sociologique.

En proposant aux convives de partager un repas de famille en silence, je centre leur attention sur la nourriture et l’acte de manger, plutôt que ce qui peut les distraire pendant leur déjeuner. Interdire les conversations superflues les mène à une performance centrée sur la dimension ritualisée du repas, comme petit théâtre familial. Entre mise en scène et restitution de performance, la vidéo révèle alors toutes les étapes et les traditions qu’engendre ce genre de rassemblement.

D’abord il y a l’œil, sollicité par la construction de l’aliment qui se trouve sur la table ; l’ouïe, éveillée par les sonorités qui suggèrent des matières métamorphosées ; l’odorat, stimulé par les concentrés d’arômes prophétisant des univers ; la gustation, enfin, qui, dans une saturation papillaire, signale un monde faisant son entrée. Je deviens un instant ce que je goûte. Quant au toucher, il a la retenue que suppose l’instrumentation culinaire, convoqué parfois dans la sensualité du « à mains nues ». Autant de gestes évocateurs du rituel lié à la nourriture et au fait de se rassembler pour manger.

Les seuls éléments de son, que sont les tintements de couverts et les bruits de mastications, nous poussent aussi à se concentrer sur les mimiques, les gestes et les individualités qui entourent la table. Ils mettent également en avant une autre façon de communiquer, passant par la consommation des mets préparés.