« Il y a deux mois, j’ai commencé à arpenter les rues de la Bastide de Monflanquin. Porte à porte, je suis allée à la rencontre de chacun de ses habitants. À la recherche d’échanges, ou même de sourires, mais surtout d’un regard. Alors que se succédaient les portes closes des maisons vides, les premières se sont ouvertes. La plupart du temps ce fut très bref. Nous n’apprendrons pas plus à nous connaître.

Puis certains ont accepté de me confier leur image. Je me suis installée chez eux pour immortaliser, le temps d’un portrait, nos regards qui se sont croisés. Cet échange de regards que je cherche à capter. Le dispositif que j’instaure nous tient à distance quelques instants. Ils m’observent, je les observe, à travers le filtre de ma caméra. À chaque porte se dessine un nouveau portrait qui tient sa force de sa différence. Ce sont eux qui en fixent la durée, résistant à l’objectif qui les défie. Puis la distance s’étiole. À chaque seconde, une nouvelle personne se construit en face de moi.

Certains ont duré. Les secondes sont devenues minutes, nous maintenant en tension l’un l’autre. Certaines fois, j’ai cru avoir été piégée par mon propre dispositif. Lorsque la rencontre se poursuit et que rien ne semble pouvoir y mettre fin. Plus ils me laissent de temps pour fixer leur image, plus j’apprends à les connaître. Ils me parlent à travers leurs gestes traduisant leur impatience à mesure qu’ils prennent conscience de ce qu’il est en train de se passer. Alors enfin la rupture à lieu.

Ces quelques mots nous séparent, et se font porte ouverte à la prochaine rencontre. Jusqu’à m’amener à refaire le tour du village au montage. Je les ai rencontrés une seconde fois, pour passer encore plus de temps avec eux. Et parce que l’enregistrement le permet, ils vont maintenant observer ceux qui les regarderont. »

Texte d’invitation à l’exposition, destiné aux habitants du village,
paru dans la revue Sous les arcades.

Sud Ouest